SUIVRE LE BON EXEMPLE
Lorsque Stephen Dalton, le Maître de la photo haute vitesse, m’a suivi dans ma quête de qualité en utilisant un appareil moyen format, il a rencontré cette même difficulté. Face à ses premiers résultats en moyen format à la netteté perfectible, il a décidé de modifier ses flashs spéciaux conçus au début des années 70. Il a divisé par deux la durée des éclairs pour atteindre un temps de pose de 1/50.000s. Logiquement, lorsque nous avons fait la sélection des clichés pour notre exposition commune «MicroMagic» en 2012, les cadrages les plus serrés correspondaient aux photos prises par Stephen.
Cela m’a aidé à comprendre que je butais sur une limitation technique. Pour me renouveler, pour aller encore plus loin dans la photo d’action, il fallait que je remette en cause mes solutions d’éclairage.
J’ai alors essayé d’imaginer ce que pourrait contenir la fiche technique de mes nouveaux flashs. Le premier paramètre est bien sûr la durée de l’éclair. Les photos de Stephen prises au 1/50.000s sont très piquées, mais quitte à investir dans un équipement très pointu, j’ai pensé qu’il était souhaitable de prendre une marge de sécurité pour provoquer d’une réelle rupture technologique. J’ai donc placé la barre plus haut. J’avais envie d’atteindre le 1/100.000s !
Ensuite se pose la question de la puissance. J’ai fait quelques essais avec les flashs Nikon. J’ai constaté qu’au réglage M1/8, c’est-à-dire avec un nombre-guide de 12 mètres pour 100 ISO, il devient facile d’éclairer les scènes que je rencontre le plus fréquemment.
Enfin, il y a les autres fonctions qui participent à l’agrément d’utilisation. Les flashs doivent être autonomes et fonctionner sur batterie. Le temps de recyclage ne doit pas dépasser deux à trois secondes. Je dois pouvoir disposer au minimum de trois sources de lumière et si possible quatre ou cinq.
LA HAUTE TENSION
Ce cahier des charges élimine de fait tous les modèles disponibles sur le marché de la photo. Il était donc inutile que je rende visite à mon revendeur. Ma fiche technique ne me laisse qu’une seule solution : le flash haute tension. Pourquoi ?
Les caractéristiques de tous les flashs électroniques résultent de quelques paramètres clés de leurs composants électroniques. Le principe de fonctionnement est simple : un condensateur décharge brusquement son énergie dans un tube à éclat réalisé en quartz et rempli d’un gaz, le xénon. La durée de l’éclair est proportionnelle à la capacité du condensateur et à la résistance du tube à éclat. Pour diminuer la durée de l’éclair, on n’a pas d’autre choix que de diminuer la capacité du condensateur. Mais voilà, l’énergie libérée est d’autant plus grande que la capacité du condensateur est plus grande et que la tension est élevée. Si on utilise un condensateur de faible capacité pour avoir une durée d’éclair courte, il faut travailler avec une très haute tension pour éviter que le flash n’émette qu’une énergie très faible. Les condensateurs utilisés dans les flashs du commerce sont tous de type électrolytique et ils ne supportent qu’une tension de quelques centaines de volts. De même, les lampes au xénon courantes ne supportent pas des tensions très élevées. Ces contraintes montrent que, pour atteindre mes objectifs, il faut trouver des composants qui peuvent fonctionner sous une tension de plusieurs milliers de Volts !
Pour répondre à ces exigences, j'ai été contraint de rechercher une société qui fabrique des lampes au xénon spéciales sur spécification et qui me fournisse un flash très spécial. J'ai trouvé mon bonheur en Angleterre. Après quelques échanges par mail, je suis parvenu à rassembler toutes les caractéristiques du modèle MicroFlash Ultra dont la fiche technique est impressionnante. Jugez vous-même :
- Durée de l’éclair : 9 µs,
- Energie : 27 joules,
- Lampe haute tension de 18 cm de long,
- Taille du réflecteur : 8x18 cm,
- Durée de recharge : 1,5 s,
- Alimentation autonome sur batterie au plomb,
- Autonomie : 1000 éclairs par charge,
- Boîtier IP65 utilisable sous la pluie sans risque pour le flash ni danger pour l’utilisateur,
- Générateur permettant d’alimenter 1 ou 2 flashs,
- Poids : 4,5 kg auxquels il faut ajouter le poids du générateur de 5 kg !
Une Longue phase de découverte
Mes nouveaux flashs étant arrivés, il faut maintenant que je trouve comment faire face à l’encombrement et au poids des flashs haute tension. Les modifications de mes outils faites sur plan pendant que j’attendais la livraison des flashs ne sont pas parfaites. Les dimensions fournies par le constructeur britannique ne tenaient pas compte de la taille de la grosse poignée qui permet de transporter la lourde tête du flash. Pendant quelques temps encore je dois utiliser davantage la scie sauteuse que l’appareil photo. En effet, j’utilise depuis longtemps des structures en bois afin de positionner plus facilement ma barrière lumineuse et mes flashs. Cette technique est à revoir complètement car il n’est plus question de fixer les flashs sur un cadre en bois tant ces nouveaux modèles sont lourds.
Superbe lumière
C’est en testant les dernières adaptations de mes outils aux nouveaux flashs très encombrants que je prends conscience d’un point essentiel au moment où je commençais à me demander s’il ne serait pas préférable de laisser tomber cette folle aventure.
Non seulement les flashs sont rapides, mais plus important peut-être encore, la qualité de l’éclairage produit par les MicroFlashs Ultra est de toute beauté ! Cela est le fruit de la taille de la lampe haute tension qui mesure dix-huit centimètres de long et du réflecteur bien optimisé devant lequel elle est fixée. La lumière n’est ni trop douce, ni trop dure. J’obtiens sans effort un superbe modelé tant sur le sujet principal que dans l’arrière-plan. Avec les flashs cobra utilisés à faible puissance, le nombre d’unités est autant dicté par le besoin d’avoir plus de lumière que par recherche d’un bel éclairage. Avec les flashs haute tension, le recours à un plus ou moins grand nombre d’unités n’est influencé que par le rendu de la lumière qui magnifiera le cliché sur lequel je travaille. Par ailleurs, la distance flash-sujet étant plus grande qu’avec les flashs cobra, il est plus facile de déboucher les ombres à l’aide de réflecteurs.
La prise de conscience du fait que la qualité de la lumière dans mes photographies ultrarapides va progresser me donne soudain une nouvelle motivation. Dans les semaines qui suivent, j’expérimente de nombreuses combinaisons multi-flashs. Je me rends compte que le manque de maniabilité des têtes qui pèsent chacune 4,5 kg est largement compensé par la facilité accrue de modeler la lumière. Quel plaisir de découvrir des combinaisons simples et variées grâce auxquelles la lumière se fait plus subtile et tient une place centrale dans le graphisme des clichés ! Je me suis mis en quelque sorte à peindre mes clichés avec la lumière.
Les premières bonnes photos au 1/111.000 s
En jouant avec la lumière comme si je redécouvrais le travail photographique avec des flashs, j’ai oublié que mes nouveaux flashs à haute tension étaient lourds et encombrants. Et puis, je ne pensais plus à la durée extrêmement courte des éclairs. C’est un criquet italien qui m’a rappelé à la réalité ! J’étais en train d’étudier le rendu d’un éclairage en contre-jour avec des herbes en conditions réelles. Concrètement, je tentais de photographier un criquet italien en vol devant de grandes herbes. J’analysais comment la position des flashs modelait le rendu dans l’arrière-plan lorsque j’ai ressenti une sensation agréable que je connais bien. Au milieu d’une séance de prise de vues ultrarapides, il m’arrive de temps en temps, sans raison apparente, d’avoir l’impression d’avoir réussi à prendre une bonne photo. Le criquet avait bondi dans la bonne direction, il avait traversé le plan net à une vitesse fulgurante tout en ouvrant ses ailes, puis il était allé se poser à l’intérieur du pare-soleil du 120 mm macro ! J’ai alors immédiatement interrompu mon travail pour visualiser le dernier cliché.
Concentré sur le rendu de mon éclairage, j’avais totalement oublié que j’étais en train de prendre des photos avec une durée d ‘exposition de 1/111.000s. La photographie montrait le criquet de face. Sa tête entrait tout juste dans le plan net et l’image était incroyablement piquée malgré la vitesse du vol. Je venais, «à l’insue de mon plein gré», de maîtriser pour la première fois mes nouveaux flashs.
Le bond des criquets
Cette première photo réussie a vraiment fonctionné comme un déclic pour moi. Dès lors, je me suis senti libéré de toutes les contraintes qui me gênaient depuis des mois. Les bons résultats se sont enchaînés pendant tout l’automne. Je me suis concentré sur des sujets que je ne pouvais pas photographier par le passé à cause de leur vitesse excessive.
Plus encore que le vol des plus petits insectes, les bonds des criquets sont vraiment hyper rapides. Je me suis donc naturellement attardé sur ce sujet pour savourer pleinement la performance de mon nouvel éclairage.
Pour photographier les criquets, nul besoin de voyager bien loin. En me rendant dans une prairie toute proche de mon domicile, en m’agenouillant simplement dans l’herbe, je trouve sans effort des dizaines de sujets. Je suis un spécialiste des lépidoptères mais je connais mal les orthoptères. De longues journées passées à genou dans les prés à la recherche des criquets m’a fait découvrir un petit monde incroyablement diversifié. Teinte de la carapace, dessin finement ciselé des longues pattes postérieures, reflets sur les fines membranes des ailes qui s’ouvrent après l’impulsion qui projette le criquet en l’air, mes flashs haute tension me font découvrir mille détails que je ne connaissais pas et qui sont finement reproduits par des images parfaitement nettes.
Comme toujours, les idées de composition de mes photos haute vitesse viennent des observations faites sur le terrain. Il en est de même pour l’éclairage. Je passe du temps à observer comment la lumière du soleil passe entre les brins d’herbe. J’observe la prairie sous différents angles pour trouver la façon de reproduire avec mes flashs un contre-jour que je trouve particulièrement graphique. Cette étape de préparation, sans matériel photo, est encore plus importante avec un matériel plus lourd et plus encombrant.
Lorsque je passe à la pratique et que je mets en œuvre mon équipement, je dois avoir une image précise en tête. Les repérages, toujours utiles en matière de photographie de nature, prennent ici encore plus d’importance.